mercredi 23 mars 2016

« Obama à Cuba: une nouvelle ère ou un nouvel habit? »



par Claude Morin

La visite du président Obama à Cuba a créé tout un événement médiatique. Il convient de s’interroger sur les objectifs de ce voyage dont la portée symbolique semble l’emporter sur les retombées politiques. J’en distinguerais trois.

Au plan personnel, il paraît évident que Barack Obama y a vu l’occasion de soigner son image comme chef d’État. Comme ses prédécesseurs, à la veille de quitter ses fonctions, il se préoccupe de son héritage, de la façon dont il sera jugé. Cuba lui fournit le terrain propice pour enregistrer un succès diplomatique, un des rares succès qui devrait résister à l’usure du temps. Déjà il aura marqué l’histoire en reconnaissant que la politique états-unienne envers Cuba avait été à la fois erronée et inefficace et en engageant le dialogue avec La Havane. La réouverture des ambassades dans les deux capitales a constitué un autre moment important. Plusieurs mesures, pour limitées qu’elles soient, ont depuis jalonné la voie vers une normalisation des relations entre les deux pays.

On doit voir dans cette visite une opération de séduction auprès du peuple cubain. Obama a réalisé un coup de maître en participant, à sa demande, à la veille de son arrivée, à un échange avec Pánfilo, le héros de l’émission humoristique la plus populaire à la télé cubaine, Vivir del cuento. L’intérêt qu’a suscité sa visite traduit le capital de sympathie dont jouit ce président noir dans l’île. Son discours au Grand Théâtre Alicia Alonso a pu être suivi par le public à la télévision. Et Granma, l’organe officiel, a fait écho de ses propos. Après plus de 50 ans où l’agressivité fut la marque de tous les discours officiels venant du Nord, il était réconfortant d’entendre des propos axés sur l’amitié et le rapprochement. Mais l’essentiel reste à faire, soit l’abrogation de l’embargo vieux de 52 ans, assimilé par les Cubains à un blocus. C’est de cette mesure que les Cubains attendent des retombées.

Dernier objectif, plus discret, mais néanmoins perceptible de ce voyage, c’est le message qu’envoie Obama à ses concitoyens. Il faut en finir avec la diabolisation de Cuba. Les sondages récents montrent que la majorité des États-uniens a désormais une perception positive de Cuba. Les gens d’affaires rêvent d’accéder librement à ce marché moins pour y vendre que pour y investir. Les citoyens souhaitent se rendre dans l’île pour y découvrir une société présentée comme figée dans le temps. Cette évolution de l’opinion publique devrait aider à gagner des partisans au Congrès pour la levée de l’embargo ou, pour le moins, mettre à mal un certain nombre de Républicains qui ne font pas de l’anticastrisme leur fonds de commerce. L’hostilité envers Cuba ne rapporte plus de votes décisifs, même au sein de la communauté cubano-américaine.  Ce public était d’ailleurs le destinataire de plusieurs passages d’un discours où Obama a rappelé les déchirements vécus par les exilés et célébré leurs réalisations en les attribuant aux libertés qu’offrent les États-Unis.

Cette visite inattendue intervient aussi dans un contexte régional particulier. La normalisation des relations avec Cuba et la fin de l’embargo étaient une demande des États d’Amérique latine. C’est peut-être l’unique revendication qui faisait l’unanimité au sein de ces pays. Ces États en ont fait la pierre de touche du respect que la superpuissance doit démontrer envers la souveraineté de ses voisins de l’hémisphère. Ce n’est pas sans rappeler le contexte qui présida à la visite du président Calvin Coolidge à La Havane en 1928 afin d’inaugurer la sixième conférence panaméricaine. Les États-Unis réagissaient alors à la grogne de plusieurs États qui dénonçaient les interventions des marines dans le Bassin des Caraïbes. Prenant acte du nouveau climat, le président F.D. Roosevelt devait annoncer lors de l'inauguration de son mandat sa politique du « Bon Voisin ».  Le présent voyage comporte cependant une autre étape, l’Argentine. On doit y voir un appui à un nouvel allié dont on veut mousser la stature internationale. Le président Mauricio Macri, un fervent adepte des recettes néolibérales, élu en novembre dernier, avec une très mince majorité, ne cache pas sa disposition à suivre Washington en tout. Signe des temps : la droite régionale revient à la charge au Brésil et au Venezuela où elle prétend déplacer les gouvernements progressistes en provoquant la destitution de Dilma Rousseff et le départ de Nicolás Maduro. Cuba et l’Argentine sont deux faces d’une politique de reconfiguration de la présence états-unienne dans la région.

Une page est définitivement tournée. Je ne crois pas qu’on puisse revenir en arrière quelque soient les résultats des élections de novembre prochain, peu importe les propos des candidats en campagne. La route menant à une normalisation sera néanmoins longue … ou sera sans fin. D’abord Cuba est une société tellement distincte, profondément réfractaire au modèle états-unien. Les Cubains ont gagné par leur longue résistance le pouvoir d’être traités avec justice et à ne plus être la cible d’une politique visant à défaire ce que leur Révolution a créé. Améliorer leur quotidien est une chose; adhérer aux valeurs matérialistes du grand voisin en est une autre. Et surtout les Cubains demeurent de fervents défenseurs de leur souveraineté, une lutte qui s’est étalée sur les deux derniers siècles, d’abord contre l’Espagne, puis depuis 1898 contre la volonté des États-Unis de dicter la conduite d’une nation libre.

Même aujourd’hui, les États-Unis n’ont pas renoncé à transformer Cuba et à y réinstaurer le capitalisme en comptant sur les jeunes générations. La « nouvelle approche » porterait désormais sur les moyens et sur le calendrier. Les références répétées à la « société civile » trahissent en effet un programme. Par « société civile », elles entendent des acteurs indépendants du gouvernement cubain, en opposition à ce dernier. Les mesures adoptées jusqu’à présent vont toutes dans un sens : appuyer le développement d’un secteur privé tout en bloquant pour le secteur public les voies d’accès aux devises, au crédit, aux ressources. Les États-Unis entendent priver autant que faire se peut l’État cubain de moyens lui permettant d’offrir une meilleure qualité de vie matérielle à ses citoyens. Il ne faut surtout pas, suivant cette logique, que la levée de l’embargo puisse contribuer à conforter le socialisme à Cuba.

Barack Obama aura profité d'une tribune pour vendre sa version du "changement" désirable en proposant aux Cubains un modèle de "démocratie", axé sur la "liberté", celle d'entreprendre et de consommer individuellement sans égard pour les valeurs collectives qui ont été à la base de la Révolution cubaine. Obama a maquillé l’histoire afin de fonder sa vision d’un futur différent. Or les Cubains ne peuvent oublier leur histoire qui est la source d’un programme de société qui leur est propre. Un programme pour lequel plus de 3000 Cubains sont morts, victimes d'actions terroristes conçues et financées aux États-Unis depuis 1959. Un programme pour lequel des générations ont souffert par la faute d'un embargo/blocus destiné à les dresser contre un gouvernement dédié à leur procurer un bien-être.