vendredi 7 janvier 2022

Le blocus contre Cuba constitue un crime

par Claude Morin

Note: On trouvera ci-dessous la version longue d'un article paru dans le quotidien Le Devoir (Montréal), le 23 juin 2021, le jour où l'Assemblée générale de l'ONU devait voter une résolution présentée par Cuba réclamant la fin du blocus économique, commercial et financier mis en place par les États-Unis en février 1962. C'était le 29e fois qu'une résolution cubaine à cette fin était mise au vote depuis 1992. Encore une fois les États-Unis se sont retrouvés seuls avec Israël à voter contre, alors que 184 États votaient en faveur de cette résolution. Comme par le passé, les États-Unis opposent une fin de non-recevoir aux nombreux appels de la communauté internationale à renoncer à une politique aussi cruelle qu'immorale, de plus en plus décriée à l'intérieur même de la classe politique et des institutions publiques. En décembre 2021, plus d'une centaine de congressistes (dont les présidents de 18 comités) adressaient une lettre au président Biden pour réclamer la suspension de mesures qui frappent durement et directement la population cubaine et lui demander de reprendre le processus de normalisation engagé en 2014 par l'administration Obama. 

Le présent article a aussi été publié en français et en espagnol sur le portail d'ALAI, une agence latino-américaine qui a son siège à Quito. Il est également accessible en plus de 20 langues (au moyen de la traduction automatique) sur le site de Mondialisation.ca.  

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De tous les obstacles qui se sont dressés devant Cuba sur la voie du développement économique, social et humain, aucun n’a été aussi formidable et n’a eu autant de conséquences néfastes que le blocus imposé par les États-Unis. Sous le terme lénifiant d’« embargo » se cache en effet tout un ensemble de dispositifs économiques unilatéraux et même extraterritoriaux. Dans les faits et en vertu de lois qui se sont ajoutées au fil des décennies, l’embargo a pris la forme d’un blocus, terme employé par Cuba pour désigner un acte de guerre dans une guerre non déclarée, car il concerne non seulement les produits, mais aussi la technologie, le transport, le financement, la monnaie, etc. D’autant plus que Washington a cherché à rendre multilatéral cet ensemble de mesures, à donner à sa législation anticubaine une portée extraterritoriale, en violation du droit international tant humanitaire que commercial.

En octobre 1960, Washington décrétait un embargo contre Cuba. D’abord limité aux exportations, il devait l’étendre à partir de février 1962 aux importations. Il présentait la mesure comme une riposte aux expropriations décrétées par le gouvernement cubain, puis comme représailles face au glissement de Cuba dans le camp socialiste. L’objectif était de provoquer l’asphyxie économique. On croyait que le « castrisme » ne pourrait survivre à cette opération d’étranglement. L’île était en effet au moment de la chute de Batista dépendante du marché états-unien pour les trois quarts de ses exportations et importations. Il fallut instaurer le carnet de rationnement pour assurer une distribution équitable et à prix subventionnés des aliments essentiels. Et trouver un marché pour le principal produit d’exportation, le sucre, et un fournisseur pour le pétrole. Dès ses origines, l’embargo fut utilisé comme un levier pour « faire hurler » l’économie, semer le chaos et affamer le peuple afin de le pousser à se soulever et à renverser le régime. La faim a toujours compté comme arme dans l’arsenal que la Maison- Blanche cherchait à déployer contre Cuba. Cela a donc fait de l’embargo une mesure foncièrement immorale en violation avec l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

À Washington, la chute de l’URSS et la disparition des partenaires est-européens ont ravivé l’espoir dans l’efficacité d’une mesure qui avait fait grand mal, sans parvenir toutefois à dresser le peuple contre son gouvernement. L’effondrement et la reconversion du commerce ont désorganisé l’économie, entraînant des pénuries de toutes sortes, une chute de la production faute de pétrole, de matières premières ou de pièces de rechange. La population cubaine connut alors ses pires privations de la période révolutionnaire. Deux lois vinrent renforcer l’embargo à partir de 1992 et de 1996. La seconde prétendait donner aux mesures une portée extraterritoriale et surtout faisait du Congrès une instance incontournable de tout processus d’abrogation, retirant à l’exécutif des prérogatives qu’il détenait jusqu’alors.

Le blocus a atteint son paroxysme sous l’administration Trump qui édicta plus de 240 mesures contre Cuba, dont beaucoup annulaient les assouplissements adoptés à la fin de la présidence Obama. Ces mesures visaient à priver Cuba de revenus venant du tourisme (interdiction des croisières, réduction des vols au seul aéroport de La Havane, interdiction des voyages favorisant les contacts people-to-people), à réduire les transferts monétaires en faveur des familles, à bloquer les livraisons du pétrole vénézuélien, à gêner les investissements étrangers (par l’application du chapitre III de la loi Helms-Burton). Interdiction fut faite de faire affaire avec des sociétés cubaines liées aux forces armées ou au parti communiste. Conscient que Cuba vendait des services médicaux et en tirait à la fois des revenus et un prestige, on a mené une campagne de dénigrement contre l’internationalisme médical et de pressions sur des pays pour qu’ils résilient des contrats les liant au ministère de la Santé cubaine.

Les États-Unis ont cherché à profiter de la pandémie pour resserrer le garrot. Les mesures financières et commerciales ont rendu plus difficile l’achat d’équipements médicaux et sanitaires, tels les masques, les visières, les tests de diagnostic, les blouses. Des équipements médicaux donnés à Cuba par la firme Alibaba n’ont pu être livrés parce qu’elle en avait confié le transport à une ligne colombienne rachetée par une ligne états-unienne. La société Medicuba a appris qu’en vertu du blocus elle ne pourrait se procurer des respirateurs de ses deux fournisseurs européens, IMT Medical AG et Acutronic, qui venaient d’être acquis par Vyaire Medical Inc. (Illinois). BioCubaFarma qui fabriquait 359 médicaments a dû suspendre la production de 120 médicaments en 2020 faute de pouvoir se procurer des intrants chimiques et des appareils nécessaires. Cuba a développé quatre vaccins contre la Covid-19, mais a dû mal à se procurer les flacons pour leur conditionnement et les seringues.

Cet ensemble de mesures coercitives unilatérales participe du crime de génocide, selon la Convention de Genève de 1948, et du crime de lèse-humanité, selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il constitue une violation systématique du droit à l’autodétermination du peuple cubain, du principe de l’égalité souveraine des États, de la liberté de commerce.

Il n’y a pas de famille cubaine ni de secteur qui n’aient pas souffert des effets du blocus : au niveau de la santé, de l’alimentation, des services, du prix des produits, des relations familiales, etc. 80 % des Cubains ont vécu depuis leur naissance sous le blocus. Jamais un peuple n’aura été soumis à un aussi long blocus. Il aura occasionné des préjudices qui s’élèvent, depuis son instauration, à près de 150 milliards en dollars. Entre avril 2019 et décembre 2020, il aura entraîné des pertes de neuf milliards. Les coûts qu’il occasionne en 12 heures équivalent à toute l’insuline que requièrent les 60 000 patients en une année.

Ce 23 juin, Cuba reviendra à la charge devant l’ONU avec une résolution réclamant la levée du blocus. Les États-Unis seront à nouveau sur la sellette, pour la 29e fois, et encore une fois ils seront isolés, impuissants à justifier une politique aussi ignoble. Pour les accompagner dans leur déroute, ils n’auront comme d’habitude qu’Israël et sans doute à nouveau le Brésil de Bolsonaro. Cette année, une campagne inédite aura mobilisé la société civile à travers le monde pour dénoncer le blocus. Des caravanes d’autos, de vélos et de piétons ont circulé dans les capitales et plusieurs villes, y compris aux États-Unis et au Canada, mais également en Europe et en Asie. Le vote de cette année prend un relief particulier du fait que des brigades médicales cubaines ont été actives pour combattre la pandémie dans une quarantaine d’États sur quatre continents.

L’administration Biden n’a encore posé aucun geste pour abroger les décrets de son prédécesseur et reprendre le processus de normalisation des relations avec Cuba engagé sous Obama. Les pressions se multplient et viennent de tous les bords. Le Center for Democracy in the Americas (CDA) et le Washington Office on Latin America (WOLA) ont déposé en décembre 2020 un document pour une politique de rapprochement qui, au bout de deux ans, aboutirait à la levée de l’embargo. Une des idées phares qui anime la proposition est que le rapprochement (engagement) est une stratégie plus efficace pour faire avancer la cause des droits de la personne, des libertés politiques et de la réforme économique. Des élus au Congrès réclament la levée des mesures touchant le commerce. Le sénateur Ron Wyden, président du Comité des finances, a qualifié récemment l’embargo de « vestige des années 1960 ». Plus de 19 conseils municipaux ont adopté des résolutions en vue de son retrait. C’est un débat qui fait mal paraître les États-Unis dans la mesure où le blocus répond à une finalité contraire au droit international et à la morale, une violation systématique de droits fondamentaux qui, comble de cynisme, a échoué en 60 ans à contrer l’orientation de Cuba au plan économique et politique.

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