Rédigé en novembre 2013.
Depuis 1992,
avec la signature des Accords de paix, la lutte armée a cédé la place à la
lutte électorale. Le FMLN a déposé les armes et s’est transformé en parti
politique. L’extrême droite – représentée par le parti ARENA – a conservé son
emprise sur le pouvoir, mais le FMLN a progressivement conquis des espaces.
D’abord la mairie de San Salvador en 1997, puis d’autres municipalités, accroissant
sa présence à l’Assemblée législative, avant d’accéder à la présidence en mars 2009.
Cette victoire
du FSLN a été qualifiée d’« historique ». En plus de concrétiser
l’alternance, elle semblait annoncer l’avènement d’un nouveau Salvador, celui
pour lequel des mouvements sociaux s’étaient formés et mobilisés dans les
années soixante-dix, celui pour lequel le FMLN avait combattu les armes à la
main dans une guerre civile qui l’avait opposé pendant douze années à
l’oligarchie, aux forces armées, aux États-Unis. En février prochain, les
Salvadoriens sont appelés à élire leur président. Or rien n’assure que le FMLN
pourra conserver ce poste clé dans un régime fortement présidentialiste.
Des politiques sociales dans un cadre
néolibéral
Le gouvernement
de Mauricio Funes s’est pourtant distingué par des politiques sociales. Funes
avait affirmé lors de sa victoire, rappelant l’engagement de Mgr Óscar Romero
en faveur des pauvres, qu’il allait « favoriser les pauvres et les
exclus ». En conformité avec sa promesse, il a créé des programmes sociaux
ciblés pour les municipalités ou les familles les plus pauvres. Celles-ci ont
connu une amélioration notable de leur accès aux services de santé, aux
hôpitaux et aux médicaments. Les petits consommateurs ont bénéficié de subventions
pour l’achat de gaz propane. Des enfants ont droit à des fournitures scolaires
(comprenant des souliers et des uniformes de fabrication locale) dans un
certain nombre de municipes. Près d’un million d’enfants reçoivent du lait
trois fois par semaine. Le gouvernement a aussi distribué plus de 40 000
titres de propriété. Les petits agriculteurs et artisans ont profité
indirectement de ces programmes. Les 100 000 domestiques sont désormais
inscrites à la sécurité sociale. Les salaires et les pensions des
fonctionnaires ont été augmentés. En revanche, faute d’un financement adéquat,
le plan « Maison pour tous » n’a connu qu’une application modeste. Le
gouvernement s’est aussi préoccupé de l’environnement. Une loi récente interdit
les pesticides toxiques. Des projets d’exploitation minière et de construction
de barrage ont été suspendus face à la résistance des communautés.
L’économie a
représenté le talon d’Achille du gouvernement. L’état des finances publiques ne
lui a pas permis de réaliser plusieurs engagements annoncés en juin 2009.
Mauricio Funes n’a pu instaurer une rupture avec les politiques néolibérales de
ses prédécesseurs. Il ne faut pas entretenir d’illusions à ce chapitre. Majoritaire
à l’Assemblée législative, la droite dispose d’un réel pouvoir de véto. Elle n’avait
consenti aux Accords de paix que dans la mesure où la guerre civile menaçait
ses intérêts économiques. L’oligarchie s’est renouvelée depuis une trentaine
d’années. La vieille oligarchie liée à l’agroexportation (notamment du café) qui
avait été un protagoniste central dans la guerre civile et la répression a été
déplacée par une nouvelle oligarchie qui a développé des intérêts dans toute
l’Amérique centrale et qui a partie liée avec des transnationales étrangères.
Ses intérêts ne sont plus dans l’agriculture ni même dans l’industrie; elle
s’est déployée dans le commerce, les services, le tourisme. Ce sont ces groupes
formés de grandes familles qui ont poussé pour l’adoption du dollar comme
devise en 2001 et pour la signature de traités de libre échange (dont le DR-CAFTA
entré en vigueur en 2006).
Ces deux mesures
que dénonçait le FMLN n’ont eu aucun effet sur la création d’emplois. Le
Salvador continue d’exporter sa main-d’œuvre. Tous les jours 600 Salvadoriens
en moyenne abandonnent leur pays en quête d’une vie meilleure pour eux-mêmes et
pour leur famille. Plusieurs risquent leur vie et la perdent dans cette
migration vers le Nord à travers le Guatemala et le Mexique. Aux 6,6 millions
de Salvadoriens demeurés au pays s’ajoutent 3 millions qui vivent à l’étranger,
aux États-Unis, au Canada et en Europe. Une culture de l’émigration tient lieu
de projet national. L’économie salvadorienne dépend aujourd’hui largement des
transferts effectués par ces émigrants établis à l’étranger. Les remesas ont augmenté de 686 millions $
en 1992 à 4 milliards en 2012 et représentent plus de la moitié des revenus extérieurs.
Les États-Unis
jouissent d’un énorme pouvoir au Salvador. Ils se sont ingérés dans de
précédentes campagnes électorales. Des programmes d’assistance, tel Fomilenio,
leur servent de leviers. L’ambassade a ainsi manœuvré pour l’adoption de la loi
du Partenariat Public-Privé qui donne la clé des ports, aéroports et routes aux
transnationales étatsuniennes. Le Partenariat pour la Croissance fait
collaborer les États-Unis, le gouvernement Funes et des ténors de la
bourgeoisie salvadorienne. Le FMLN n’a pu remettre en question les grandes
orientations économiques promues par l’ANEP et les autres organisations
patronales. Condamné au pragmatisme, il ne peut faire la promotion du
socialisme sans qu’on lui oppose l’épouvantail du communisme. En politique
étrangère, le président Funes a reconnu l’État palestinien, a renoué les
relations diplomatiques avec Cuba, mais s’est opposé à l’adhésion du Salvador à
l’ALBA. Washington travaille à intégrer ce pays dans l’Alliance du Pacifique.
L’insécurité, un enjeu social et
électoral
La guerre civile
avait fait 75 000 morts, 12 000 blessés et 8 000 disparus. Lui a
succédé une autre violence qui aurait fait en vingt ans 50 000 morts. En
2010, on enregistrait 70 meurtres par 100 000 habitants, un taux parmi les
plus élevés de la planète. Assassinats, enlèvements, extorsions sèment la peur
chez les riches et les pauvres.
On a beaucoup fait
état de la violence déployée par les bandes de rues, les maras. Ces bandes sont nées au sein de l’émigration salvadorienne
en Californie. La déportation des jeunes délinquants a déplacé le problème au
Salvador. Mais cette criminalité juvénile n’est pas la seule en cause. Le crime
organisé, les narcotrafiquants, les anciens combattants démobilisés et réduits
au chômage contribuent à la violence. Les femmes y sont tuées plus qu’ailleurs.
Il n’empêche que la répression a pris pour cible les maras. Partisans de la mano
dura, les gouvernements ARENA ont politisé la criminalité en vue de gains
auprès de l’électorat pauvre et des classes moyennes.
Le FMLN préconise
pour sa part une approche globale qui tient compte des racines
socio-économiques de la délinquance. En mars 2012, les maras ont décidé d’une trêve entre elles. Des gens proches du
gouvernement, un aumônier militaire et un ancien commandant de la guérilla, ont
agi comme médiateurs. La moyenne quotidienne de meurtres a chuté de 15 à 6. En
janvier dernier, 11 municipalités s’engageaient à mettre en place des plans de
réinsertion sociale pour les membres des bandes qui rendent leurs armes. Le
succès de cette approche met en danger la stratégie d’ARENA fondée sur
l’exploitation électoraliste de l’insécurité. ARENA a répliqué par son
initiative « Alliance citoyenne », incitant les gens à se transformer
en vigiles et à seconder la police. Les États-Unis ont critiqué la politique de
sécurité, menaçant de suspendre l’assistance s’il est démontré que l’argent a
servi à la réinsertion des délinquants. C’est comme si la droite et Washington
souhaitaient l’échec de la trêve pour éviter que le FMLN ne recueille des
dividendes politiques.
Un autre dossier
explosif concerne l’impunité. L’Assemblée a voté en 1993 une loi d’amnistie générale
pour les crimes commis entre 1980 et 1992. Des groupes de victimes réclament
des procès pour que justice soit rendue. Ils invoquent le crime de
lèse-humanité qui ne serait pas couvert par l’amnistie. Le président Funes a posé
un geste, dénoncé par la droite, en demandant pardon au nom de l’État pour le
massacre d’El Mozote, le plus connu d’une centaine de massacres. Il n’a pas
remis en cause l’amnistie. Son gouvernement compte d’anciens officiers et
d’anciens guérilleros à des postes de ministres ou de conseillers.
Le FMLN a fait élire
en 2009 un président en choisissant un candidat hors de ses rangs, un
journaliste bien connu. Or cette fois le FMLN propose à la présidence et à la
vice-présidence deux ex-commandants, Salvador Sánchez Cerén et Óscar Ortiz. Il
convient de se demander si cette formule ralliera une majorité absolue. Malgré
ses limites, le gouvernement Funes a représenté une avancée significative à
plusieurs égards. L’élection de Norman Quijano ou d’Antonio Saca, l’un et l’autre
issus d’ARENA, constituerait un net recul. Ces deux candidats sont de plus dans
la ligne de mire de la justice, le premier pour sa gestion comme maire de San
Salvador, le second pour plusieurs scandales survenus alors qu’il était
président. À défaut de l’emporter au premier tour, le FMLN risque de perdre au
second tour face à une alliance des droites.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire