28
février 2020
Le
texte qui suit découle d’une demande qui m’a été faite par la
Fondation Salvador Allende de Montréal de traiter de la conjoncture
actuelle en Amérique latine. Il s’appuie sur une démarche
quotidienne qui consiste à suivre l’actualité de plusieurs pays à
l’aide de sources diverses. Ma préoccupation majeure dans cet
exercice est de comprendre ce qui s’y passe et d’évaluer les
perspectives de changement ou de réaction.
J’écris
ce texte dans le sillage d’un événement dramatique. Le coup
d’État en Bolivie a eu l’effet d’une douche froide pour les
peuples qui luttent pour la justice sociale, l’inclusion, la
tolérance et pour ceux qui, à l’étranger, sommes solidaires des
gouvernements progressistes qui portent l’espoir de ces peuples. Un
revirement comme celui-là ne doit pas nous surprendre, pas plus
qu’il ne doit nous faire désespérer de l’avenir. Des signes
existaient à l’effet que les élections seraient l’occasion
d’une opération de déstabilisation. Je n’avais prévu ni la
trahison des policiers et des militaires ni la démission du tandem
Evo Morales-Álvaro García Linera.
L’histoire
que je pratique depuis un demi-siècle m’a enseigné deux leçons :
- Elle progresse en spirale avec des avancées et des reculs, mais les reculs ne peuvent jamais longtemps dissimulé l’attrait des conquêtes antérieures et des droits acquis. C’est encore moins le cas aujourd’hui. Les reculs ne peuvent être que momentanés, car le niveau de conscience des peuples s’approfondit avec l’éducation et l’expérience vécue.
- Ce mouvement d’avancées et de reculs crée des cycles, tantôt ce sont les forces du changement qui progressent, tantôt ce sont celles de la réaction qui dominent. Il existe une relation dialectique entre les forces progressistes et les forces conservatrices. L’Amérique latine étant diverse, ces cycles ne sont pas non plus synchrones. Une avancée quelque part peut coïncider avec un recul ailleurs.Le coup d’État en Bolivie révèle une triste réalité : l’ère des coups d’État n’est pas révolue. L’oligarchie, conservatrice par nature, est incapable d’agir démocratiquement, qu’elle soit au pouvoir (afin de le conserver) ou dans l’opposition (afin de le récupérer). Dans les deux situations, elle peut recourir à un coup d’État. Dans l’opposition, elle le fera au nom de la démocratie qu’elle prétend restaurer. Avant 1985, en gros, elle appelait et soutenait sans vergogne des coups d’État menés par les armées. Puis les coups d’État eurent mauvaise presse, étant comme une négation de la modernité à laquelle les élites prétendaient s’identifier. Pendant un quart de siècle l’Amérique latine en fut à une exception près exempte. Des gouvernements progressistes furent élus dans plusieurs pays au début du XXe siècle. La droite n’allait pas renoncer : elle allait mettre en marche de nouveaux mécanismes pour la reconquête du pouvoir là où elle l’avait perdu et le conserver ailleurs. Depuis 2009, la réaction conservatrice drape les coups d’État sous des déguisements institutionnels. Les appareils militaires et policiers n’ont apparemment plus le premier rôle. Ce sont d’autres appareils qui véhiculent désormais la réaction : ce sont, selon les pays, les parlements, les juges, les médias, souvent en alliance les uns avec les autres. Les médias contrôlés par la droite jouent un rôle majeur. Ils exploitent à fond le dossier de l’insécurité en vue de justifier des solutions autoritaires, répressives, sans égard aux causes qui l’alimente. C’est un terreau fécond pour la droite. Face à un gouvernement de gauche, les médias s’emploient à débusquer des cas de corruption, qu’ils soient réels ou inventés. Le système judiciaire en fait la matière du « lawfare », une guerre asymétrique menée contre un adversaire devant les tribunaux. Les fausses nouvelles et la désinformation transmises par les médias sociaux ont aussi leur rôle dans l’agitation de l’opinion, les protestations de rue qui font le lit à des opérations de déstabilisation. Ces acteurs se sont manifestés au Honduras, au Venezuela, au Paraguay, au Brésil, en Bolivie.Une autre vérité qui se dévoile avec de plus en plus de détails chaque jour est que les États-Unis ont été le cerveau et l’instigateur de ce coup d’État. Les acteurs boliviens l’ont réalisé sur place sous la conduite de l’ambassade à La Paz et de la CIA, avec la participation d’exilés installés aux États-Unis, en relation avec certains parlementaires de ce pays et avec un financement venant d’agences états-uniennes directement et par l’entremise d’ONG actives en Bolivie. Le secrétariat de l’Organisation des États américains a été un complice majeur. L’objectif était un changement de régime en Bolivie afin d’y installer un gouvernement ami.
Dans
les prochaines pages, je vais m’arrêter à certains pays et
signaler comment évolue la dialectique changement/réaction et
quelles sont les forces qui l’animent.
Mexique
L’élection
d’Andrés Manuel López Obrador en juillet 2018 a représenté une
avancée considérable, non seulement pour le Mexique, mais aussi
pour le bloc progressiste latino-américain réuni dans le Grupo
Puebla. Ce triomphe a été accompagné par une position majoritaire
du parti Morena au Congrès. Un an après son entrée en fonction,
AMLO jouit d’un taux d’approbation de 70 %, du jamais vu.
L'insécurité affecte encore sérieusement plusieurs régions. Elle
est une hydre aux têtes multiples. L’année 2019 présente un
bilan de 34 582 assassinats, le plus élevé des 20 dernières
années, soit un taux de 27 homicides pour 100 000 habitants (15 fois
supérieur au taux canadien). Au moins a-t-il abandonné la stratégie
de ses devanciers qui avait amplifié le problème en engageant une
guerre contre les narcotrafiquants qui avait fait plus de 200 000
morts. Sa « Quatrième Transformation » à visée éthique
et citoyenne demeure à l'ordre du jour, dans le discours, comme une
boussole (comme une religion disent certains), mais progresse
lentement. La lutte contre la corruption et l'impunité demeure une
priorité. AMLO a évité la chasse aux sorcières contre les anciens
dirigeants soupçonnés d'actes de grande corruption, laissant le
procureur général procéder aux enquêtes. L’ex-directeur de
Pemex vient d’être arrêté en Espagne accusé d’une mégafraude
dont a pu profiter l’ex-président Peña
Neto. Les États-Unis ont arrêté l’ancien tsar de la lutte
antidrogue. AMLO a dénoncé le néolibéralisme de ses devanciers,
déterminé à tourner la page sur 36 ans de politiques publiques
néolibérales. Plusieurs programmes sociaux ont vu le jour qui
améliorent la vie matérielle des jeunes et des aînés. L’économie
se porte bien comme le peso. Les radicaux lui reprochent de ménager
ses adversaires. AMLO n'est pas le Chávez qu'annonçaient ses
ennemis politiques et les puissants durant la campagne électorale.
Il serait plus proche d'un Lula, cherchant à se concilier le
patronat nationaliste. Face à Trump, il défend la souveraineté et
la dignité mexicaines en évitant toute surenchère dans la
rhétorique. Il respecte ses voisins au nom du principe de
non-ingérence. Le Mexique a abandonné le groupe de Lima et accordé
l’asile à Evo Morales et à plusieurs de ses ministres.
L'opposition a multiplié les fronts de résistance à ses politiques
et les grands médias lui cherchent noise sur de nombreux dossiers.
López Obrador gouverne en informant le peuple par le biais de
conférences matutinales, une façon d’assurer une transmission
directe de l’information. En somme, les contradictions ne manquent
pas. Il n’empêche que l’espoir a remplacé la désespérance.
El
Salvador
C’est
un candidat antisystème qui a remporté la présidence en 2019 :
Nayib Bukele, un entrepreneur et ancien maire de San Salvador. Proche
du FMLN dans le passé, il en a été exclu et s’est porté
candidat avec un parti ambigu, GANA. C’était
la première fois en 30 ans que la présidence échappait aux deux
partis qui avaient incarné la polarisation entre l’extrême-droite
(ARENA) et le parti de l’ancienne guérilla (FMLN). Le
FMLN qui avait détenu la présidence durant deux mandats a échoué
à combattre l’insécurité tout en ayant adopté des mesures
progressistes qui
auraient dû lui valoir la faveur populaire (en
éducation, contre les
pesticides, contre
les minières). Jeune et charismatique, Bukele n’a aucune idéologie
affirmée. La population semble avoir voulu échapper à la
polarisation. Une fois élu, Bukule a glissé à droite, courtisant
le patronat (ANEP), Bayer (qui a absorbé Monsanto) et les minières,
boudant les médias au profit de Twitter qu’il utilise à la façon
de Trump et signant un accord pour bloquer les migrations vers le
Nord. Fidèle à son
discours de haine et antisystème, il
prétend être tout le gouvernement. Près d’un millier de
fonctionnaires de l’époque FMLN ont été congédiés sans
ménagement. Son dernier geste a été d’expulser les membres de
l’ambassade vénézuélienne, une manière de se mériter les
bonnes grâces de Washington. En février dernier, il a envahi le
Congrès avec une escorte militarisée dans une manœuvre pour forcer
les députés à voter un emprunt international de
109 millions $ qu’il
prétendait affecter à la lutte contre l’insécurité. Quatre
Salvadoriens sur cinq appuient cette intervention intempestive tant
ils discréditent les députés pour leur incapacité à changer la
situation. Le Congrès
s’est lui-même placé
au coeur d’une
controverse en adoptant sur un vote très serré une loi d’amnistie
pour les auteurs de crimes durant le conflit qui a fait plus de 75
000 victimes entre 1980 et 1992.
Honduras
Juan
Orlando Hernández (JOH) a
été réélu en 2018 malgré le fait que la Constitution interdisait
un deuxième mandat et grâce à une fraude tellement évidente
qu’elle fut dénoncée d’abord par l’OÉA. Les protestations
n’y firent rien, car elles venaient d’un candidat soutenu par la
gauche et les mouvements sociaux, ce qui
devait, aux yeux des élites, les exclure du pouvoir. Elles
furent réprimées sauvagement. Le Honduras est le pays qui exportent
le plus grand nombre d’immigrants dans ces caravanes qui
progressaient vers la frontière sud des États-Unis
et contre
lesquelles Trump réclamait son « mur ». La
corruption y est endémique comme l’est la violence meurtrière
contre les écologistes, les
manifestants, les journalistes. Il y a plus de 10 ans que la
protestation y est criminalisée et que les Honduriens vivent dans la
désespérance entre la protestation et l’exil. Tant
l’OÉA que les États-Unis protègent un véritable dictateur élu
grâce à l’argent sale et à un pacte avec le narcotrafic
alors qu’ils multiplient les sanctions et les campagnes pour forcer
Nicolás Maduro à abandonner le pouvoir au Venezuela.
Colombie
Les
accords de paix signés en 2016 entre les FARC et l’État colombien
ne sont pas appliqués. La
faute en incombe à la droite (et surtout à l’ex-président
Álvaro Uribe
et à son parti
le Centre démocratique)
qui a réussi à imposer ses vues lors du référendum de
ratification à l’automne 2016, puis à bloquer l’application de
clauses au Congrès dans les
dossiers de la justice, des réparations et de la représentation des
FARC au Congrès. L’élection
du dauphin d’Uribe, sa
marionnette de fait, Iván Duque,
en mai 2018, a déçu les
espoirs. Il n’empêche que le candidat Gustavo Petro, pour la
gauche, a obtenu 42 % des voix au second tour, soit
plus de 8 millions votes,
le meilleur score de la
gauche dans l’histoire colombienne, au
terme d’une campagne marquée
par des attentats contre lui et la gauche.
Comme par le passé, le vote à gauche risque d’être sans
lendemain dans la mesure où il ne découle pas ni ne se prolonge
dans une organisation. Même Petro a dû édulcorer son message dans
une vaine tentative de capter des votes au
centre. En Colombie règne
une oligarchie néolibérale qui recourt à la violence extrême. Le
bloc au pouvoir s’est reconstitué unissant mafias, narcos,
assassins et oligarchie. Des leaders sociaux sont assassinés chaque
semaine (près de 300
en trois ans) et près
de 200
ex-guérilleros désarmés
ont été exécutés.
Quelque chose a néanmoins bougé. Aux
élections locales et régionales en
octobre dernier, plusieurs
candidats d’opposition et de gauche ont triomphé dans
plusieurs grandes villes.
Claudia López, féministe, lesbienne, indépendante, a conquis la
mairie de Bogotá. Le parti d’Álvaro
Uribe a été le grand perdant de ces élections. Et
depuis des semaines le
gouvernement Duque affronte des protestations massives à travers le
pays contre ses politiques sur
les fronts économique et
social. L’insécurité
de toute origine a trop duré.
À la façon de ses homologues équatorien et chilien L. Moreno et S.
Piñera, il a envoyé
l’armée dans les rues avec
comme bilan des morts! Lui
aussi se considère en guerre contre son peuple. Son
taux de désapprobation dépasse
les 70
%. Le Congrès pourrait
ouvrir une enquête sur l’achat de votes sur la côte atlantique.
Deux riches familles auraient investi des millions de dollars dans
son élection de 2018. Ces
soupçons d’illégitimité et
ses
nombreuses démonstrations
d’incompétence ne
l’empêchent pas de s’investir en
première ligne dans la déstabilisation du Venezuela au service des
plans de Washington et de la CIA contre Maduro. Et sur ce front il
n’a accumulé que des échecs.
Équateur
Lenín
Moreno, ancien vice-président et héritier apparent de Rafael
Correa, a trahi le programme et les électeurs qui l'ont porté au
pouvoir en 2017. Sitôt élu, il a pactisé avec les ennemis de
Correa, a changé les titulaires de nombreux postes, a organisé un
plébiscite afin, entre autres, de faire annuler des mesures
anti-corruption et de faire
interdire tout futur mandat
présidentiel pour
Correa. Il s’est employé à défaire les avancées démocratiques
réalisées sous la présidence de Correa. Il a expulsé Julian
Assange de l'ambassade équatorienne à
Londres pour satisfaire aux
demandes des États-Unis et
leur a redonné la base
aérienne de Manta. Pourtant l'OÉA
et les gouvernements qui veulent abattre Maduro et la Révolution
bolivarienne n’ont rien trouvé à redire contre cet assaut porté
contre les institutions équatoriennes. Ses mesures néolibérales
ont réduit les ressources fiscales de l’État, le conduisant à
réclamer un prêt de 4
milliards
$ du FMI qui a imposé ses
conditions. Un décret éliminant les subsides sur les carburants a
été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres déclenchant des
protestations majeures. Il a convoqué
l’armée dans
les rues, a décrété un
couvre-feu et s’est réfugié à Guayaquil. Bilan : plus de 10
morts et des centaines de
détenus. Les
États-Unis l’ont assuré de leur soutien. L’entrée
en scène de la CONAIE l’a obligé à abroger son décret et à
offrir un dialogue sur mesure. Après
avoir imputé les mobilisations à Maduro et à Correa, il s’est
attaqué aux corréistes qui ont été arrêtés ou contraints à se
réfugier dans des ambassades. L’Assemblée
a rejeté
un projet de loi qu’il avait présenté pour la réforme du travail
et de la fiscalité. Le Front
unitaire des travailleurs annonce pour mars plusieurs manifestations
pour défendre la sécurité sociale et exiger le versement par
l’État d’une dette de 5 milliards $. Peut-être
Moreno est-il otage d’une
opération de chantage. À l’époque où il était vice-président
il aurait obtenu un pot-de-vin de plusieurs millions $, les aurait
placés dans une banque panaméenne au nom de son frère et
de sa femme. Cet argent aurait servi à acheter un appartement à
Alicante, des meubles pour sa fille à Genève, etc. Il est protégé
de poursuites par la Procureure générale
qu’il a nommée. La corruption et l’évasion fiscale sont connues
des services secrets des États-Unis. Ceux-ci
ont peut-être
fait couler l’information
pour mieux contrôler Moreno. Ses
trahisons cacheraient
ce péché originel. Seulement
4% de ses compatriotes croient en lui, le pire score de tous les
présidents.
Pérou
Le
pays se débat depuis des années dans des affaires de corruption qui
concernent les quatre derniers présidents et le clan Fujimori. Les
révélations sont venues de la société brésilienne Odebrecht qui
a admis avoir versé des pots-de-vin pour obtenir des contrats
publics (métro, routes, etc.) pour des centaines de millions.
Ollanta Humala et sa femme sont détenus, P. P. Kuczynski a été
démis, García s’est suicidé. Keiko Fujimori est en détention
préventive depuis
des mois. Les députés fujimoristes, majoritaires au Congrès, ont
tenté de bloquer les enquêtes et les poursuites et de s’opposer à
des
élections anticipées. Les Péruviens sont descendus dans la rue
pour dénoncer la classe politique au cri de
« Que se vayan todos ». Leur
intervention a permis au président
Martín
Vizcarra de prévaloir face
au Congrès. Des élections
anticipées ont eu lieu en
janvier. Les fujimoristes ont
subi une déroute. Le Congrès est maintenant éclaté entre
plusieurs partis de droite. Il en va de même pour la gauche.
Les élites ne jurent que par des mesures néolibérales à
l’avantage du capital financier et des entreprises extractivistes.
La population dénonce des projets miniers qui polluent les nappes
phréatiques, les bas salaires comme les pensions anémiques.
Argentine
Le
gouvernement Macri qui fut à l'avant-garde d'une restauration
néolibérale en 2015 en Amérique du Sud, avec un modèle proposé
par les conservateurs du Sud et leurs alliés du Nord, a fracassé
lourdement. Il n’a réalisé aucune de ses promesses de lutte
contre la pauvreté et pour la création d’emplois. C’est tout le
contraire qu’il a provoqué : inflation, dévaluation,
congédiements, pauvreté. Il a imputé les difficultés à
l’ «héritage » qu’il avait reçu du gouvernement
antérieur et a alimenté le « lawfare » contre
Cristina Fernández Kirchner et ses ministres. Les élections du 27
octobre ont signé son acte de décès. Il laisse à son successeur
et adversaire (Alberto Fernández) une économie en plein recul avec
un accord de prêt léonin auprès du FMI. Dès son arrivée au
pouvoir le nouveau président a réinscrit l’Argentine dans le camp
des progressistes, en se portant au secours de Morales et établissant
un pont avec AMLO. Sa première action fut d’obtenir du Congrès
qu’il vote la « loi de solidarité et de réactivation de la
production dans le cadre de l’urgence économique ». Il a
annoncé plusieurs mesures dont profiteront les retraités et les
consommateurs.
Uruguay
On
aurait espéré que le fiasco argentin soit une leçon pour les
électeurs d'Uruguay confrontés à des candidats qui prétendaient
se faire élire avec des recettes ayant échoué en Argentine et au
Chili. Le second tour a eu lieu le 24 novembre. Il opposait Daniel
Martínez. candidat du Frente Amplio au pouvoir depuis 2005, au
candidat de droite Luis Lacalle Pou (Parti Nacional) qui avait obtenu
le ralliement des quatre autres formations de droite (Parti Colorado,
Cabildo Abierto, etc.). Martínez avait obtenu 39,2 % au premier tour
contre 28,6 % pour son adversaire. Le Frente Amplio (une coalition de
gauche) avait pourtant beaucoup fait pour les Uruguayens en 15 ans :
économie, protection sociale, IVG, cannabis, éducation. Serait-ce
l’usure du pouvoir? L’ingratitude des électeurs est monnaie
courante surtout chez la classe moyenne préoccupée par la
consommation, l’insécurité. La victoire au second tour dépendait
du vote des 180 000 électeurs antérieurement acquis au FA et qui
ont émis un vote de protestation en faveur de la droite au premier
tour. Au second tour Lacalle Pou a devancé Martínez par 37 042
voix, soit un maigre 1,5 %. Il entreprendra son mandat le 1er
mars 2020. Déjà il a annoncé une réduction substantielle du
budget social.
Venezuela-Cuba :
même combat
Il
y a maintenant plus de 20 ans que Cuba et le Venezuela sont unis et
solidaires. Cette alliance remonte à la victoire d’Hugo Chávez en
décembre 1998. Elle découle de l’amitié profonde entre Fidel
Castro et Chávez qui a précédé la victoire du second. Mais c’est
cette victoire qui a soudé les deux pays dans un partenariat
indéfectible. Les deux dirigeants concevront des projets bénéfiques
pour les deux pays. Ainsi les médecins cubains fourniront des
services médicaux au Venezuela. Le Venezuela paiera ces services
avec du pétrole instaurant un système de troc. Cette coopération a
aidé Cuba à sortir de la « période spéciale .
Plusieurs institutions régionales naîtront par la suite, telles
l’ALBA, l’UNASUR, la CELAC, et des initiatives au plan de la
communication, telles TeleSur et le REDH.
Depuis
des mois, l’administration Trump s’emploie à attaquer les deux
pays. L’objectif déclaré est de forcer le président Maduro à
abandonner le pouvoir sous prétexte que sa réélection en mai 2018
était illégale du fait qu’une partie de l’opposition avait
boycotté le scrutin. Mais ce que Washington veut c’est un
changement de régime au Venezuela. Il veut en finir avec la
révolution bolivarienne et chasser les chavistes du pouvoir afin
d’installer un gouvernement ami (fantoche) à Caracas. Il s’attaque
maintenant à Cuba sous prétexte que La Havane maintient des troupes
au Venezuela en appui à Maduro, sans égard au fait qu’il s’agit
essentiellement de brigades de santé. Il prétend empêcher les
livraisons de pétrole vénézuélien à Cuba et y créer une crise
énergétique. Il a décrété plusieurs mesures additionnelles
destinées à étrangler l’économie cubaine (en limitant les
transferts d’argent venant des particuliers, en interdisant les
croisières, en appliquant le chapitre III de la loi Helms-Burton, en
contrant la location d’avions par la ligne Cubana, etc.). Il
renforce donc le blocus contre Cuba, un blocus décrété depuis 1962
et conçu comme principale arme pour réaliser un changement de
régime à La Havane. Affamer la population pour qu’elle se soulève
contre les dirigeants et ouvre ainsi la voie à une reconquête de
l’île : tel était l’objectif déclaré dans un document interne
en 1960. La Maison Blanche utilise le même arsenal contre le
Venezuela. Priver le gouvernement de ressources, l’empêcher
d’acheter des aliments et des médicaments. Rendre la gestion
impossible et faire souffrir la population, ouvrant la voie à
l’agitation sociale, à un coup d’État, à une intervention
militaire, à des élections taillées sur mesure pour le triomphe
d’une opposition servile.
Ce
qui unit ces deux pays c'est qu'ils sont la cible d'opérations
visant à provoquer un changement de régime d'abord à Cuba, en
œuvre depuis près de 60 ans, puis au Venezuela, depuis près de 20
ans. Ces opérations font partie d’une stratégie qui tient en deux
mots : « regime change ». Dans le passé, on
s’attaquait à un pays à la fois. Aujourd’hui la Maison-Blanche
prétend faire d’une pierre deux coups : désespérer deux
peuples, renverser deux révolutions, l’une à court terme (la
vénézuélienne), l’autre à moyen terme (la cubaine).
Or
les deux pays résistent en dépit des sacrifices que cela implique
pour leurs populations. En novembre dernier, Cuba a présenté pour
la 28e année une résolution à l’Assemblée générale
de l’ONU condamnant le blocus. 187 pays ont voté la résolution
contre 3 qui ont opposé un non : les États-Unis, Israël et un
nouveau venu dans ce camp, le Brésil de J. Bolsonaro. Cela fait plus
d’un quart de siècle que les États-Unis sont isolés sur cette
question.
Le
gouvernement Maduro résiste lui aussi. L’invention d’un
président fantoche en janvier 2019 a fait long feu. Juan Guaidó a
été reconnu par une cinquantaine de pays à l’instigation de
Washington et du Canada. Ottawa et Chrystia Freeland se sont
discrédités dans cette affaire révélant la nature véritable du
Canada : un État subimpérialiste au service des intérêts de
minières dont il abrite les sièges sociaux inscrites à la bourse
de Toronto. Les tentatives de Guaidó d’animer un coup d’État
ont toutes échoué lamentablement. Elles n’ont jamais réussi à
briser l’unité des forces armées et l’alliance civilo-militaire
créée par Hugo Chávez et renforcée par Maduro. Ses appels à la
mobilisation dans la rue ont été de moins en moins suivis. Tout au
plus a-t-il obtenu des fonds en faisant geler des actifs de l’État
vénézuélien à l’étranger, des fonds dont lui et ses amis ont
accaparé une partie à leur profit personnel. Maduro dispose de
l’appui d’une centaine d’États au sein des pays non alignés
et de l’assistance essentielle de la Russie et de la Chine. Le
dialogue mené avec l’opposition modérée semble être sur la
bonne voie. Une sortie politique à la crise est envisageable en 2020
avec des élections d’une nouvelle Assemblée nationale sous des
conditions acceptables pour l’opposition. Juan Guaidó n’est même
plus président de l’Assemblée nationale ayant perdu le vote qui
devait renouveler son mandat. Il n’est plus qu’un paravent
derrière lequel se meut l’ingérence étrangère. Celle-ci, loin
de baisser les bras, ajoute aux sanctions qui ont déjà fait des
dizaines de milliers de victimes, par leurs effets sur la santé et
l’alimentation notamment. L’administration Trump réclame pour la
prochaine année une enveloppe de 200 millions $ pour faire face à
« la crise au Venezuela » et y soutenir la « transition
démocratique ».
Un
sondage récent (février) confirme que Trump, Guaidó, Trudeau se
trompent magistralement. Leur politique est contraire à ce que veut
la majorité des Vénézuéliens. Plus de 80 % des Vénézuéliens
considèrent qu'ils sont les principales victimes des sanctions
décrétées par les États-Unis. 83 % s'opposent à une intervention
militaire pour chasser Maduro et 75 % considèrent que le dialogue
entre le gouvernement et l'opposition est la voie à suivre. En fin
de compte seulement 16 % approuvent les politiques de
l’administration Trump envers le Venezuela.
Le
Brésil entre Bolsonaro et Lula
La
libération de Lula a modifié la dynamique interne. Celui qui menait
largement dans les sondages à six mois des élections de 2018 aurait
dû remporter la présidence. Son arrestation et son exclusion de la
course ont ouvert la voie à Jair Bolsonaro, un ancien capitaine de
l’armée et un sénateur sans envergure. La présidence Bolsonaro
s’annonce désastreuse pour les Brésiliens et Brésiliennes. Et
dans tous les domaines depuis l’économie (l’emploi, les
salaires, les pensions), les rapports sociaux (exacerbés par la
haine, le mépris, l’exclusion), l’insécurité (le port
d’armes), les institutions (l’éducation, la justice, la vie
parlementaire), la culture (porteuse d’une protestation),
l’environnement (en Amazonie particulièrement), la souveraineté
nationale (un alignement éhonté sur les politiques états-uniennes),
la position du Brésil dans les forums régionaux et mondiaux. Un
mouvement de boycottage des produits brésiliens a déjà commencé.
Une certaine élite, de grands médias, une partie de la classe
moyenne découvrent combien ce président est à la fois incompétent
et indigne de la fonction. Lui et son clan (à commencer par ses
fils) sont mêlés à des affaires criminelles qui pourraient lui
valoir une destitution. Il suffirait pour cela que s’enclenche une
vaste mobilisation à travers le Brésil sous le slogan « Fora
Bolsonaro ». C’est la rue qui avait entraîné le procès en
destitution et la démission du président Fernando Collor en 1992
suite à des actes de corruption.
Chili
On
m’excusera de ne pas traiter du Chili, la tâche ayant été
confiée à un collègue chilien
plus compétent que moi. Je
ne puis que saluer ici le
courage et la détermination du peuple chilien. Après un mois de
protestations dans les rues, il aura arraché ce qui semblait
impossible : un accord
sur l’élaboration d’une nouvelle constitution. Le mérite en
revient surtout aux jeunes qui ont entraîné toutes les générations
à leur suite. La mobilisation se poursuit afin d’obtenir
rapidement satisfaction à plusieurs demandes sociales touchant les
salaires, les pensions, l’éducation, la santé.
Sebastián Piñera doit être
imputable
pour la répression qu’il a opposée
aux manifestants en faisant intervenir l’armée comme si le pays
était « en guerre » contre
son peuple. Les Carabineros
ont usé d’une force excessive et disproportionnée. La vingtaine
de morts, les centaines de
blessés – plusieurs ayant
perdu la vue –, les
milliers de détenus constituent un bilan dramatique et
justifient la visite d’une commission d’enquête sur les droits
de l’homme. Pourtant
le Canada comme les États-Unis ont soutenu le président Piñera.
Ils n’ont exprimé aucun
blâme sur la façon dont il a géré la crise que lui comme les
élites et la classe politique n’avaient pas vu venir. Pas
plus de 6 % des Chiliens approuvent désormais
sa gestion. Certains partis
au sein de la droite font campagne contre une révision de la
constitution lors du plébiscite
du 26
avril.
Bolivie
Le 10 novembre dernier le
président Evo Morales et plusieurs de ses ministres démissionnaient.
Ils réagissaient à l’escalade de la violence à La Paz et
ailleurs. Ils croyaient mettre fin à la contestation des élections
et ramener la paix. Ce dénouement et la progression des évènements
correspondent au schéma des « révolutions de couleur »
pensé par Gene Sharpe et appliqué localement sous la supervision de
la CIA et de l’ambassade. La manière dont le processus s'est déroulé montre en
effet que les instigateurs suivaient un scénario pensé à l'avance. « Fraude »
devait être le cri de ralliement avant même que l'élection n'ait
lieu. La déclaration de l’OÉA à propos de l’interruption dans la transmission des
résultats avec 83 % du décompte, Morales menait avec seulement 7 % d’avance) a donné
le la. Les protestations se sont transformées en actions violentes. Des hordes paramilitaires et de jeunes
mercenaires, le plus souvent en motos et armés, ont assailli les partisans de
Morales et du MAS, attaquant leurs résidences, incendiant, prenant des otages. Un climat de
terreur s’installa. La défection des appareils étatiques responsables de maintenir
l'ordre et la sécurité répondait à un plan qui visait à provoquer la démission de ministres et parlementaires du MAS. Le
coup de grâce fut le dépôt du rapport provisoire de l’OÉA et
l’adhésion publique des forces armées au plan «suggérant»
à Morales de se retirer. Les FAB annonçaient par
cet appel qu’elles
n’assuraient plus la protection des autorités constituées. Le
général Kalimán, leur
commandant en chef,
aurait reçu un million de dollars de l’ambassade et serait parti
pour les États-Unis.
Ce
coup avait été de plus « annoncé » par des opérations
antérieures. Si Carlos Mesa, arrivé en seconde place, a été le
premier à invoquer la fraude et à réclamer un second tour, Luis
Fernando Camacho a été l’acteur le plus virulent dans une
opération qui appelait à la démission de Morales. Camacho vient de
Santa Cruz, un département qui a orchestré un mouvement subversif
en 2008. À la tête des Comités civiques constitués sur le modèle
des phalanges franquistes, ce chrétien fondamentaliste fanatique
vient d’une famille qui doit près de 3 millions à l’État pour
des taxes impayées par ses sociétés gazières. Son ressentiment à
l’endroit de Morales date de la nationalisation du gaz. La création
du Système unique de santé en 2019 a constitué un autre coup dur
pour la famille Camacho et son Grupo Nacional Vida assureur privé de
soins de santé.
Déjà
en 2016 cette région avait été le pivot de la mobilisation contre
le référendum pour autoriser Morales à briguer un troisième
mandat consécutif. L’opposition avait fabriqué des mensonges pour
discréditer Morales en inventant l’existence d’un fils et en le
compromettant avec une ex-compagne accusée de concussion. Le « non »
l’emporta par une marge de 2,6 %. Ses partisans présentèrent un
recours devant le Tribunal constitutionnel qui statua en faveur du
droit à la réélection pour tous les postes électifs en se fondant
sur le pacte de San José (Costa Rica). Je considère que ce fut une
erreur même si Morales a suivi en cela la voie empruntée ou
envisagée par les présidents Fujimori, Menem, Uribe et Hernández
avant lui. En réaction à la propension des présidents à se
perpétuer au pouvoir, les constitutions latino-américaines ont dans
beaucoup de cas opposé un verrou au continuisme.
La
Bolivie est revenue à l’instabilité qui l’a caractérisée
pendant des décennies, car le coup d'État a créé un énorme
déséquilibre en produisant plus de perdants que de gagnants. Sous
Morales, tous les Boliviens avaient profité de la croissance de la
richesse, les pauvres plus que les autres classes vu leur point de
départ. Ici encore la classe moyenne en demande plus et les élites
veulent défendre leur position privilégiée face à
l'enrichissement de ceux qu'elles exploitaient et ... continuent
d'exploiter. Une situation qui rappelle le Brésil sous Lula et les
gouvernements PT. Une « révolution » par la consommation
a ses limites. Morales s’est montré conciliant avec l’élite
économique, cherchant à l’inclure, faisant des compromis, la
ménageant donc, ce qu’avait fait Lula également. Mais la droite
finit par trahir, par afficher ses vraies couleurs et à vouloir
chasser l’intermédiaire pour gouverner directement, puis prendre
sa revanche. Face à une police discréditée pour sa corruption, il
a cherché à faire de l’armée une force nationale en ouvrant
l’Escuela de Comando Antiimperialista General Juan José Torres. Il
l’a doté d’un équipement moderne et lui a offert de bonnes
conditions et un rôle accru dans l’économie. Il semble avoir
oublié que plusieurs des officiers avaient été formés à l’École
des Amériques, à Fort Benning (Georgie) et que leur loyauté
n’était pas assurée.
Les
partisans de Morales ont tout à redouter d'un nettoyage ethnique au
sein des appareils de l’État et d'une destruction des acquis tant
sociaux (programmes) qu'économiques avec la privatisation des
entreprises publiques. La résistance a commencé dès l’annonce de
la démission forcée. Elle a pris la forme de réunions, de marches
vers les centres urbains, de blocages de routes. La Paz encerclée a
connu des problèmes d’approvisionnement en combustible et en
denrées. La résistance refusait de reconnaître le nouveau pouvoir
illégitime. Il a fallu beaucoup de répression pour casser le
mouvement. La répression a fait plus de 24 morts en une semaine,
soit 35 depuis le 10 novembre. La présidente a même donné carte
blanche à l’armée pour tuer impunément, en plus de lui attribuer
une importante rallonge budgétaire pour s’assurer sa loyauté.
Elle n’a abrogé son décret illégal qu’au bout de 10 jours. Et
pour se prémunir d’un retour de Morales en Bolivie, le ministre de
l’Intérieur a déposé une poursuite pour « sédition »,
« terrorisme » et trois autres chefs. La persécution
annoncée contre sa personne et son héritage s’accompagne de la
persécution de son image.
Les
putschistes ont échoué à préserver les apparences d’une
transition constitutionnelle. La sénatrice d’opposition Jeanine
Áñez s’est autoproclamée présidente du Sénat, puis présidente
intérimaire en l’absence des parlementaires du MAS, donc sans le
quorum. Les démissions n’ont pu être validées comme l’exige la
loi. On s’en est donc remis à une interprétation de 2001 basée
sur l’ancienne constitution. Brandissant la Bible, Áñez a reçu
l’écharpe présidentielle des mains d’un militaire. Elle a formé
un cabinet composé de ministres ultraconservateurs venus pour
beaucoup de la « demi lune », un ensemble de départements
de tradition autonomiste indisposés à l’endroit du haut plateau
occidental indigène. Les ministres de l’Intérieur et des
Communications ont menacé de s’attaquer aux « séditieux ».
Dans leur ligne de mire, il y avait les journalistes et coopérants
étrangers et les « subversifs ». Le ministre de
l’Économie est un fervent défenseur de l’entreprise privée et
un critique des sociétés étatiques. Une chola d’El Alto
anti-Morales représente les indigènes. Le haut commandement de la
police et de l’armée a été changé.
Des
élections auront lieu le 3 mai sous l’égide d’un nouveau
Tribunal électoral dont le président a été désigné par le
régime Áñez. Morales ne peut même pas se présenter à un poste
de sénateur sous prétexte qu’il ne réside plus en Bolivie. Áñez
est désormais candidate à la présidence, elle qui avait promis de
se limiter à assurer la « transition ». On peut craindre
que les élections ne soient truquées, comme elles le furent au
Honduras en novembre 2009, après le coup d'État contre Manuel
Zelaya en juin 2009. La droite n’a pas pris le pouvoir pour le
perdre dans des élections. Le gouvernement Áñez aura mis à profit
l’intervalle pour décapiter et décimer le MAS à coup de
poursuites, d’arrestations. Plusieurs centaines de fonctionnaires
ont été démis ou sont détenus sous divers prétextes et
accusations. Le MAS qui détient actuellement une majorité des deux
tiers aux deux chambres pourrait être affecté dans sa capacité à
conserver les sièges qu’il détient.
Le
gouvernement putschiste, sous
le couvert de la « transition »
s’est employé à
démanteler les
politiques économiques (et sociales) en faveur de l’entreprise
privée (et étrangère). Il
a rapidement
réaligné ses relations
extérieures. Il s’est retiré de l’ALBA, de l’UNASUR et
de la CÉLAC, a rompu
avec le gouvernement de Maduro et reconnu Guaidó. Il
a adhéré au Groupe de Lima. Il a annoncé la nomination d’un
ambassadeur à Washington et à Jérusalem. Il
cherche à imposer un contrôle sur l’information et menace les
journalistes qui ne suivent pas la ligne. Plusieurs
médias ont perdu les ressources pour vaquer à leur mission.
Cibles de menaces, les 600 coopérants cubains en santé ont
dû quitter la Bolivie, ce
qui a entraîné une détérioration dramatique de la couverture
médicale.
Trois
rapports indépendants
venant de spécialistes (un
professeur du Michigan, le
Center for Economic and Policy Research) et
de chercheurs du CELAG ont
conclu que les « irrégularités » dénoncées par l’OÉA
s’expliquaient
et n’auraient pas mis en cause la victoire de Morales dès le
premier tour. Et quand
bien même si cette avance n’avait pas atteint l’écart de 10 %,
on ne pouvait parler
d’une
« fraude » comme l’avait
fait Luis Almagro
le 12 novembre lors de la réunion extraordinaire de l’OÉA. L’OÉA
a d’ailleurs mis trois semaines à publier son rapport final qui
n’apporte pas de preuves sérieuses sur la prétendue « fraude ».
Or l’accusation de fraude a été brandie comme l’accusation
suprême pour délégitimer l’élection et déclencher un mouvement
de contestation et une campagne d’agressions qui ont abouti aux
démissions de Morales et de plusieurs ministres contraints à se
réfugier dans les ambassades.
Sans aucune gêne et sans égard
au rôle que les États-Unis ont joué dans ce qui fut un coup de
force, Donald Trump a salué la démission de Morales comme « un
moment significatif pour la démocratie dans l’hémisphère
occidental ». Pour ensuite exprimer tout son soutien à Jeanine
Áñez chargée par
Washington d’organiser des élections transparentes. Bernie Sanders
a été le seul candidat démocrate à identifier l’événement
comme un coup d’État et à le dénoncer. Le gouvernement Trudeau a
également signifié son soutien à la présidente Áñez. Un
analyste canadien a collaboré à la rédaction du rapport de l’OÉA.
Ce
coup d'État a également une composante géopolitique : il
permettrait d’accéder aux immenses
réserves de lithium afin de les exploiter au profit des
transnationales. Tesla et Pure Energy Minerals (Canada) étaient sur
les rangs. Or
des
minières chinoises travaillaient à un partenariat avec la société
d'État YLB dans le but de produire des batteries en Bolivie même.
Les États-Unis ne pouvaient supporter que la Chine ait accès à
cette ressource stratégique. L’exploitation du lithium par une
société d’État suscitait également l’opposition de leaders
locaux dans le département de Potosí qui préféraient toucher des
redevances de la part de transnationales. Dans les actions violentes
qui menèrent à la démission de Morales, Marco Pumari et ses
comités civiques de Potosí se comportèrent comme Camacho et ses
troupes de Santa Cruz. Ils
furent les boutefeux dans une alliance entre le front externe et le
front interne gérée en coulisses par Tuto Quintana et Erik Foranda
en lien avec les États-Unis.
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