* Une version abrégée a été publiée dans La Presse +, le 21 juillet 2015
Les États-Unis et Cuba procèdent à la réouverture de leurs
ambassades après 54 ans d’interruption des relations diplomatiques formelles. Ce
20 juillet, la Section des intérêts cubains à Washington redevient l’ambassade
cubaine, alors que la Section des intérêts américains à La Havane retrouve
également son statut d’ambassade. Durant l’administration Carter, en 1977,
chaque pays avaient établi une section d’intérêts qui devaient fonctionner sous
la protection d’un État tiers, soit l’ambassade de Suisse. La réouverture
constitue une étape importante tant au plan politique que symbolique et
juridique. Elle s’inscrit dans un processus qui devrait mener à terme à une
certaine « normalisation » dans les relations entre deux États
voisins qui ont vécu un long conflit.
Le 17 décembre dernier, le président Barack Obama
reconnaissait que la politique suivie depuis 55 ans par les États-Unis à
l’égard de Cuba avait été un échec, n’étant pas parvenue à induire un
changement de régime à La Havane. Le temps était venu d’adopter une
« nouvelle approche ». Le président Raúl Castro, pour sa part,
prenait acte de cette nouvelle disposition, tout en formulant une position de
principe devant encadrer tout rapprochement : « Nous devons apprendre
l’art de coexister, de façon civilisée, avec nos différences. »
Dans ce rapprochement, c’est la Maison Blanche qui a pris l’initiative pour diverses raisons. Ce sont les États-Unis qui avaient rompu unilatéralement les
relations et qui ont multiplié les gestes hostiles, usant de la coercition
économique (l’embargo) jusqu’à des actions de guerre (l’invasion d’avril 1961,
des actes de sabotage, des attentats, etc.). Sa politique a échoué à isoler
Cuba et est devenue un obstacle à de meilleures relations avec l’Amérique
latine. Les milieux d’affaires voient un marché qui leur échappe alors qu’ils
disposent d’avantages comparatifs indéniables. Les citoyens états-uniens ne voient pas
pourquoi on leur interdirait de séjourner dans une île séduisante à plusieurs
titres. Le président Obama cherche à inscrire un succès en politique étrangère
et à se démarquer de ses dix prédécesseurs.
Il ne fait pas de doute que le rétablissement des relations diplomatiques constitue une victoire pour Cuba. Jusqu'en décembre dernier, tout rétablissement était conditionnel à des changements majeurs qui, pour les États-Unis, passaient par des élections compétitives et par une transition vers l'économie de marché. Cuba n'a jamais cédé, défendant bien haut son droit à l'autodétermination.
Aussi Cuba-t-elle voulu donner beaucoup de relief à la réouverture de son ambassade à Washington : elle a invité plus de 400 personnes du pays hôte, des congressistes, des hommes d'affaires, des amis qui ont défendu cette cause. Une délégation de 30 personnes est venue de l'île, formant un éventail représentatif de la « société civile » cubaine, objet de tant de « sollicitudes » de son voisin. Le drapeau qui flotte devant l'ambassade cubaine à Washington est celui de la dignité. Son retour au sommet du mât est tout un symbole.
Le président Obamba souhaitait que la réouverture des ambassades se fasse avant le Sommet des Amériques à Panama en avril dernier. C'était sans compter sur une exigence incontournable du gouvernement cubain. Celui-ci exigeait en effet le retrait préalable de Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme, une inscription qui datait de 1982, totalement injustifiée, et qui privait Cuba d’un accès aux services bancaires en sol états-unien. Cette présence était d’autant plus choquante que c’était Cuba qui avait été la cible d’attaques terroristes soutenues par les États-Unis. Ici encore ce sont les États-Unis qui ont dû faire des concessions. Cuba est désormais titulaire d'un compte en dollars dans une banque de Floride, une condition indispensable au fonctionnement de sa mission en sol états-unien.
Aussi Cuba-t-elle voulu donner beaucoup de relief à la réouverture de son ambassade à Washington : elle a invité plus de 400 personnes du pays hôte, des congressistes, des hommes d'affaires, des amis qui ont défendu cette cause. Une délégation de 30 personnes est venue de l'île, formant un éventail représentatif de la « société civile » cubaine, objet de tant de « sollicitudes » de son voisin. Le drapeau qui flotte devant l'ambassade cubaine à Washington est celui de la dignité. Son retour au sommet du mât est tout un symbole.
Le président Obamba souhaitait que la réouverture des ambassades se fasse avant le Sommet des Amériques à Panama en avril dernier. C'était sans compter sur une exigence incontournable du gouvernement cubain. Celui-ci exigeait en effet le retrait préalable de Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme, une inscription qui datait de 1982, totalement injustifiée, et qui privait Cuba d’un accès aux services bancaires en sol états-unien. Cette présence était d’autant plus choquante que c’était Cuba qui avait été la cible d’attaques terroristes soutenues par les États-Unis. Ici encore ce sont les États-Unis qui ont dû faire des concessions. Cuba est désormais titulaire d'un compte en dollars dans une banque de Floride, une condition indispensable au fonctionnement de sa mission en sol états-unien.
Le retour d’une ambassade à La Havane ne va pas sans danger.
Les historiens ont démontré le rôle qu’ont tenu les ambassades des États-Unis
en Amérique latine dans la genèse de coups d’État. Les États-Unis ont fermé leur
ambassade à La Havane en janvier 1961, en jouant les vierges offensées, quand
Fidel Castro eut exigé publiquement une réduction de son personnel (de 69 à 11) parce qu’il
était devenu évident que l'ambassade servait à fomenter la contre-révolution. Trois mois
plus tard avait lieu le débarquement à la Baie des Cochons. Cette fois-ci, les
deux pays s’engagent à respecter la Convention de Vienne qui régit les
relations diplomatiques.
Les autres étapes seront beaucoup plus difficiles et longues.
La priorité pour Cuba demeure la levée de l’embargo que les Cubains appellent à
juste titre le « blocus » en raison de sa nature multiforme et de
ses ambitions extraterritoriales, en contradiction avec le droit international
tant humanitaire que commercial. Or l’abrogation de l’embargo relève du Congrès
depuis 1996 quand le président Clinton a signé la loi Helms-Burton. Une dure
bataille s’annonce. À court terme, Marco Rubio et consorts entendent bloquer la
nomination du nouvel ambassadeur et l’octroi d’une rallonge budgétaire. Mais les
opposants au Congrès seront soumis à des pressions venant de divers groupes
économiques. Leur combat en est un d’arrière-garde : un sondage récent du
Chicago Council révèle que 67 % des répondants favorisent la fin de
l’embargo. Barack Obama dispose aussi de pouvoirs pour atténuer dès maintenant la portée de
l’embargo. Il pourrait en septembre ne pas renouveler le Trade with Enemy Act de 1917 qui ne s’applique plus qu’à Cuba.
Un lourd contentieux oppose les deux pays. Cuba demande la
rétrocession de la base de Guantánamo que les États-Unis occupent depuis 1903
en vertu d’un traité léonin. Elle demande aussi que les États-Unis mettent fin aux
transmissions radiophoniques et télévisuelles en violation des règlements sur
l’utilisation des fréquences hertziennes, ainsi qu’aux programmes d’assistance destinés
à appuyer l’opposition et la subversion. Elle demande l’abrogation de la loi
d’ajustement cubain. En vertu de cette loi adoptée en 1966, tout Cubain qui arrive
aux États-Unis est éligible à obtenir la résidence permanente après un an et un
jour, comme si tout immigrant cubain était un réfugié politique. Quatre
athlètes cubains participant aux Jeux panaméricains s’en sont prévalus la
semaine dernière. Cette loi a été spécialement conçue pour encourager l’immigration de Cubains sans égard à la politique migratoire appliquée à
d’autres ressortissants. Les médecins cubains participant à des missions
internationalistes sont aussi la cible d’un programme visant à leur faire
abandonner leur affectation et à immigrer aux États-Unis. Et c’est sans compter la demande de réparations
pour les dommages causés par l’embargo et les agressions, une demande à laquelle les
États-Unis voudront opposer une facture pour les expropriations subies par ses firmes. Peut-être ajouteront-ils dans la balance des réclamations pour les biens détenus par les Cubano-Américains, une question qui sera très litigieuse.
Le principal obstacle à la normalisation demeure cependant l’attitude
des États-Unis. Rien n’indique qu’ils aient renoncé à induire un
« changement de régime » à La Havane. Ils comptent désormais sur le
temps et sur des voies différentes. Les partisans de la « nouvelle
approche » croient que le soft power
pourra réussir là où le hard power a
échoué. Mais Cuba est bien déterminée à défendre sa souveraineté et à décider,
sans ingérence, de l’orientation et du rythme des changements qu’il convient d’apporter.
On ne s’entendra pas sur la nature des changements, mais le nouveau contexte ne
pourra qu’être bénéfique à toutes les parties. Un nouveau chapitre s’ouvre.
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